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Histoire du chanvre en France

5/5/202521 min read

Sources: Extraits du livre le chanvre de la plante aux applications Chiara Mongiovi et Grégorio Crini


Les premières traces de chanvre sur le territoire français sont découvertes dans la région de Marseille, la vallée du Rhône et le côté sud-ouest. Elles remontent au iiie siècle avant J.-C., prouvant ainsi qu’avant la conquête par les Romains la culture et les différents usages du chanvre étaient connus des Gaulois. À l’époque antique, le premier usage du chanvre en France était la confection de vêtements. D’ailleurs, dans le Jura, des archéologues ont même retrouvé des fibres de textiles de chanvre datant entre 800 et 500 avant J.-C. Des traces de cannabis ont également été retrouvées en 2015 dans une vase dans une sépulture gauloise ce qui démontre, qu’au tout début de notre ère, les Gaulois utilisaient déjà dans leur breuvage du chanvre : « le vin antique au cannabis », la fameuse potion magique d’Obélix ! Au Moyen Âge, chaque ferme possédait son propre champ de chanvre

L’âge d’or du chanvre » se situe entre le xviie et le xviiie siècle du fait de l’explosion du commerce intercontinental qui a accru l’utilisation des navires. Durant cette période, le chanvre comme plante multi-usage devient le matériau indispensable le plus important non seulement sur le continent européen mais également sur le vaste territoire russe, et les continents américain et asiatique. Le chanvre est alors utilisé à bien des effets : l’alimentation, l’habillement, la construction, la papeterie et l’art. Avec les invasions arabes, les Européens avaient, en effet, appris la fabrication du papier de chanvre, savoir qui sera transféré rapidement sur le continent d’Amérique du Nord. Ce papier servira comme papier d’impression (ouvrages religieux, papiers d’art), papier filtre, et même comme papier toilette !

Pendant les périodes de la Renaissance et des Lumières, les connaissances sur le chanvre et le cannabis s’agrandissent et étonnent toujours les philosophes, les écrivains, les peintres et les médecins. En Europe, les plus grands artistes dont Michel-Ange et Léonard de Vinci ont recours à l’huile de chanvre pour les peintures et à sa fibre pour les toiles pour réaliser leurs œuvres. Le célèbre peintre, sculpteur et architecte de la Renaissance, Michel-Ange, crée, à partir d’huile de chanvre, la plus célèbre fresque de l’art occidental, Le Jugement dernier, qui se trouve dans la Chapelle Sixtine. Cette réalisation démontre la parfaite connaissance de tous les usages du chanvre. Quelques années plus tard, d’autres artistes célèbres (Vincent van Gogh, Paul Gauguin, Picasso) utiliseront également des toiles de ce matériau. Aujourd’hui, on redécouvre les biopeintures à base d’huile de chanvre !

En France, en 1546, le médecin et écrivain François Rabelais décrit dans son livre, Tiers liure, « la description d’une plante merveilleuse, mystérieuse (Pantagruelion), très grande (dépassant la hauteur des arbres !), fort utile pour soigner plaies, brûlures, douleurs spastiques, crampes et rhumatismes », usages identiques à ceux décrits par les philosophes antiques. Rabelais a également écrit que le chanvre a « une odeur forte, peu plaisante aux nez délicats » et que « l’herbe Pantagruelion avait deux sexes, mâle et femelle ». Plus tard, en 1772, le philosophe et écrivain Diderot, dans le Dictionnaire raisonné des sciences, décrira le cannabis comme une plante « étonnante procurant vertiges, éblouissement et ivresse ». Il publiera également dans cette encyclopédie deux célèbres planches sur le travail du chanvre.

Le roi Henri II crée la Marine royale en 1547, qui sera développée par le Cardinal de Richelieu, ministre de Louis XIII en 1624. À l’époque, les puissances européennes se disputent la suprématie navale et le chanvre s’impose alors comme un matériau stratégique dans le domaine de la marine militaire. Désireux de créer une marine de guerre capable de rivaliser avec les Hollandais, les Anglais et les Espagnols, Richelieu développe la flotte française. Néanmoins, c’est Louis XIV et la politique de Colbert qui développent et intensifient la culture du chanvre pour les bateaux de l’immense flotte française. En 1666, le Roi demande à Colbert de moderniser les arsenaux de Brest et de Toulon et d’en créer un autre à Rochefort pour, notamment, « sécuriser l’approvisionnement en chanvre national ». Colbert lui adjoint une corderie, la Corderie Royale de Rochefort, qui servira pendant plus de deux siècles à fabriquer les cordages (il en faut 60 à 80 t pour un bateau) et les voiles (entre 6 et 8 t) de l Rapidement, les médecins de Napoléon constatent cependant les effets ravageurs de la consommation du chanvre. Le 8 octobre 1800, un décret met un terme à la consommation de cette herbe (haschich) et interdit de fumer la graine de chanvre : c’est l’Ordonnance du 17 Vendémiaire (an IX) qui est le premier texte où il est fait mention d’une loi sur le cannabis et de ses risques. Néanmoins, à la même époque, des écrivains, des poètes, des artistes, des médecins et des scientifiques s’élèvent contre cette interdiction. Ce sera le cas, par exemple, du médecin psychiatre Jacques-Joseph Moreau, qui, avec d’autres médecins, intellectuels et artistes, sera à l’origine de la création du Club des Haschischins fondé en 1844 à Paris. Moreau découvre en 1836 le chanvre indien et étudie ses propriétés psychotropes. Il l’est l’un des premiers médecins a étudié son effet sur le système nerveux. Il considérait le chanvre indien comme « un moyen d’exploration du psychisme humain ». À partir d’expériences réalisées sur lui-même, Moreau décrira les effets psychotropes et bénéfiques du chanvre, notamment sur l’aliénation mentale. Ce médecin recommandera l’ingestion de cannabis sous forme de pâte mélangée à du miel ou à de la pistache pour traiter les troubles mentaux. Il organisera également des soirées de consommations dans lesquels il présente ses conclusions sur l’intérêt médical du cannabis, ce phénomène de mode de consommation étant déjà pratiqué en Angleterre ou dans le monde ottoman.

Le Club des Haschischins était fréquenté par de célèbres médecins, écrivains et artistes : Théophile Gautier, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Victor Hugo et Eugène Delacroix. Le « Tout Paris » des Arts et des Lettres se donnait ainsi rendez-vous sur l’île Saint-Louis à l’hôtel Pimodan pour évoquer, discuter et profiter des effets « enivrants » du cannabis, et surtout en « manger » sous forme de pâtisseries, de bonbons (qui, plus tard, seront commercialisés à l’échelle industrielle par une entreprise new-yorkaise Hasheesh Candy Company en 1860), de confitures (la Dawamesk), de miels, de beurres, de soupes parfumées ou de brioches. On considère cette période comme le début de l’usage du cannabis dans les pays d’Europe occidentale mais qui restera confiné à des « clubs privés ». Il faudra, en effet, attendre les années 1960 pour que le cannabis devienne une « drogue de masse » en Europe et également en Amérique du Nord. Le Club des Haschischins sera fermé en 1849.

Suite à leurs conquêtes dans les Indes, les Anglais et les Irlandais ramènent également le cannabis dans leurs pays et étudient ses propriétés thérapeutiques. Les médecins introduisent son usage médical dans tout le Royaume-Uni. Le succès sera immédiat et amplifié à partir de la fin du xviiie siècle par l’apparition d’une nouvelle médecine, l’homéopathie, qui met en avant les vertus médicinales des plantes dont le chanvre. Celui-ci commence alors à être utilisé en Europe comme médicament et les médecins et le secteur pharmaceutique s’en emparent.

En 1797, le médecin prussien Samuel Hahnemann, le père de l’homéopathie, souligne les bienfaits des fleurs de chanvre et le rôle fondamental des plantes dans la médecine. La reconnaissance des bienfaits du chanvre (cannabis, haschich) sur la santé est alors européenne. Le chanvre commence à faire partie des pharmacopées européennes et devient alors la plante médicale indispensable. Quelques années plus tard, suite à des expérimentations sur les animaux, les médecins anglais de retour des colonies des Indes suggèrent l’utilisation du chanvre indien (qui avait été « découvert » par le médecin français Moreau en 1836) pour traiter l’asthme, l’épilepsie, la rage et le tétanos. Le traitement contre l’épilepsie sera annoncé comme une découverte exceptionnelle alors que ce traitement était déjà utilisé par les civilisations antiques puis par les sociétés musulmanes ! En 1839-1840, le célèbre médecin chirurgien et chimiste irlandais William Brooke O’Shaughnessy étudie les propriétés thérapeutiques analgésiques de la plante Cannabis sativa sur des chiens, puis sur des patients, atteints du tétanos. Un an plus, il publie les premières études cliniques sur l’utilisation du cannabis pour traiter les douleurs, les migraines et les vomissements, et pour réduire les spasmes musculaires chez des enfants. Il préconise également l’utilisation de préparation à base de cannabis pour lutter contre le choléra. Les travaux de O’Shaughnessy ont permis l’introduction de Cannabis sativa dans la pharmacopée au même titre que la morphine ou l’opium. Rapidement, ses travaux ont permis la production et la commercialisation d’un extrait cannabinique à Londres, puis l’exportation en France et aux États-Unis.

En 1880, le cannabis médicinal commence à être considéré comme un médicament « d’une valeur exceptionnelle » par de nombreux médecins européens. La préparation la plus utilisée se présente sous forme de teinture (une solution de cannabis dans de l’alcool) par voie orale. Cette préparation sera, par exemple, utilisée comme remède contre les douleurs, les rhumatismes, la peste et le typhus d’Orient, et la rage. Le cannabis médicinal connait alors un âge d’or partout en Europe. Vers 1885, l’entreprise pharmaceutique allemande Merck devient un leader mondial dans la commercialisation de préparations cannabiques utilisées comme somnifères, analgésiques et antidépresseurs.

Les succès obtenus incitèrent non seulement les médecins européens mais également américains à prescrire des préparations à base de chanvre dans de nombreuses pathologies. En 1854, le cannabis apparait ainsi dans la pharmacopée américaine et des médicaments à base de cannabis sont rapidement commercialisés pour leurs effets antispasmodiques, antidépresseurs, sédatifs et analgésiques. L’extrait t de cannabis est alors considéré comme un puissant narcotique très utile dans le domaine de la santé. L’arrivée des migrants aux États-Unis et aux Caraïbes va également promouvoir le cannabis mais pour un autre usage !

Quelques années plus tard, une teinture alcoolique à base de chanvre sera prescrite par les médecins britanniques de retour des Indes à la reine Victoria afin de soulager ses douleurs menstruelles. Cette teinture sera l’un des médicaments les plus vendus dans les pharmacies. En 1890, la reine Victoria qualifia le cannabis comme « l’un de ses médicaments les plus précieux ».

À l’époque, le chanvre est alors partout en Europe et dans le monde, et ses utilisations multiples. Par exemple, presque tout le papier mondial était fabriqué à partir de la tige (fibre) de chanvre. Les cartes géographiques, les billets de banque et les livres étaient imprimés sur du papier de chanvre. Ce succès du chanvre dans la papeterie est dû aux Arabes qui ont diffusé leurs procédés de fabrication en Europe la France était le premier producteur mondial de chanvre avec une surface cultivée annuelle proche de 180 000 ha et la plaque tournante au niveau mondial. L’Italie et surtout la Russie deviennent à leur tour des acteurs majeurs dans la production du chanvre. Pourtant, plusieurs évènements vont commencer à freiner le développement du chanvre et même diaboliser sa culture.

Au milieu du XVIIIe siècle et surtout à partir du siècle suivant, le développement de la navigation à vapeur commença à mettre un terme au règne du bateau à voile. Le chanvre va alors laisser sa place au charbon. En outre, la production de fer et d’acier pour façonner les câbles et les coques des navires fit disparaître encore plus l’utilisation des fibres naturelles dans la marine. D’autres découvertes importantes participeront également au déclin du chanvre. À l’époque, les opiacés, dérivés de la plante pavot à opium comme la morphine, étaient déjà connus pour leurs vertus calmantes et antalgiques dans de nombreuses civilisations, ceci depuis fort longtemps. Mais la plupart des opiacés présentaient des difficultés en termes de mode de consommation. Une innovation importante fut alors l’invention de la seringue hypodermique en 1853, facilitant l’usage des opiacés solubles dans l’eau, ce qui n’était pas le cas du cannabis. C’est le début de la morphinomanie ! Mais très vite, la morphine sera remplacée par deux autres substances/drogues, la cocaïne et l’héroïne. Il faut se rappeler, qu’à cette époque, ces trois substances, la morphine extraite de l’opium, la cocaïne de la feuille de coca et l’héroïne d’origine synthétique, étaient très populaires et utilisées légalement pour leur usage médicamenteux : remède contre la toux, pour soulager les accouchements, faciliter le sommeil, traiter l’alcoolisme, etc. Le géant Bayer vendait de l’héroïne partout dans le monde en toute légalité !

À la fin du xixe siècle, les premiers vaccins et médicaments analgésiques et sédatifs, d’origine synthétique, apparaissent sur le marché et remplacent progressivement le cannabis médicinal « naturel » et les produits homéopathiques. Début du siècle suivant, tous les géants pharmaceutiques se lancent alors dans la fabrication des premiers médicaments « industriels », en particulier l’aspirine (qui sera à l’origine du déclin de la teinture alcoolique à base de cannabis qui était utilisée pour soulager les douleurs), la codéine et les barbituriques, réputés plus efficaces et pratiques, ce qui commence à mettre de côté les remèdes naturels. L’industrie pharmaceutique, de plus en plus puissante, mène alors une campagne de propagande contre l’usage des médicaments « naturels », qui conduira, quelques années plus tard, en 1941, la pharmacopée américaine a retiré le chanvre de ses ouvrages réglementaires, suivi en 1953 par la pharmacopée européenne.

Entre-temps, l’huile de chanvre des lampes a déjà laissé sa place au pétrole et le géant américain et leader de la pétrochimie, DuPont de Nemours Chemical Company, dépose plusieurs brevets importants à partir du pétrole et du papier (fabrication du plastique, des fibres synthétiques, pâte à papier au bisulfite). Le chanvre en tant que fibre naturelle entre alors en concurrence non seulement avec les fibres synthétiques (nylon) mais également avec d’autres fibres végétales (jute, sisal, kenaf), notamment dans leur usage textile, sans parler du succès de plus en plus grandissant du coton.

Aux États-Unis, dans les années 1910, c’est le début des controverses sur les usages médicamenteux de certaines substances comme l’héroïne. En parallèle, on dénonce, de plus en plus, les propriétés de drogue récréative du chanvre, ou plus précisément de la marijuana (cannabis en argot mexicain). Cette herbe était fabriquée au Mexique puis exportée vers les états du sud des États-Unis. Quelques années auparavant, les soldats mexicains du célèbre hors-la-loi et général Pancho Villa, en lutte contre les Gringos, fumaient de la marijuana, qui avait été introduite au Mexique par des émigrés Indiens venant des Caraïbes. La marijuana était consommée de façon culturelle au Mexique.

Durant les années 1910-1920, des milliers de Mexicains ont traversé la frontière américaine pour fuir la révolution, emmenant avec eux leur marijuana. Celle-ci devient alors très populaire dans les plantations du Sud. Sa consommation va également se développer et devenir populaire à la Nouvelle-Orléans où le jazz commence ses premiers pas en même temps que les premiers problèmes. C’est le début d’une vague d’interdiction pour la marijuana considérée comme une « herbe tueuse » dans certains comme la Californie en 1915 et le Texas en 1919. En 1925, la marijuana et le chanvre indien sont placés au même rang que l’opium, la cocaïne et l’héroïne dans la classification des substances psychoactives. Pendant la crise de 1929, le cannabis est accusé d’en être l’un des responsables. Cette période de dépression fut alors attribuée principalement aux Latino-Américains et aux musiciens noirs de jazz (une « musique satanique »). Le cannabis et le racisme commencent alors à être intimement liés, et l’ensemble lié à la violence.

En pleine Grande Guerre, la France et l’Angleterre promulguent également une loi interdisant la production, l’importation, le commerce, la détention et la consommation de substances vénéneuses dont le cannabis. Cette loi du 12 juillet 1916 fit suite à des rumeurs stipulant que les Allemands fournissaient des drogues (cannabis, cocaïne) aux soldats français et anglais afin de les démotiver. Pour la première fois, l’usage et la consommation personnelle étaient pénalisés. Bien plus tard, en 1970, une loi française sera promulguée, allant encore plus loin, en sanctionnant également la production, la vente et la cession de stupéfiants dont le cannabis. Aujourd’hui encore, la France sanctionne l’usage du chanvre récréatif.

Côte médecine, la teinture de chanvre est délaissée pour d’autres produits chimiques et l’industrie pharmaceutique arrête alors la production de remèdes à base de cannabis, devenue illégale. Entre les deux guerres, les entreprises américaines pétrochimiques, textiles et pharmaceutiques entrent alors en conflit d’intérêts avec la décision publique de cultiver légalement le chanvre. À la même époque, le chanvre décline également dans d’autres secteurs comme la papeterie où cette matière première est fortement concurrencée puis remplacée par le bois, en raison du lobbying de l’industrie forestière. L’industrie papetière, extrêmement importante et en plein développement à l’époque, entre également en conflit d’intérêts. La production de chanvre chute alors considérablement au cours de la première moitié du xxe siècle non seulement en Amérique du Nord mais également en Europe, alors qu’elle se maintient en Chine. En France, en 1939, la superficie de chanvre cultivée était de 3 400 ha alors qu’elle était de 176 000 ha en 1850 et 170 000 ha en 1900. Peu à peu, le chanvre est banni de toutes ses applications industrielles.

Pourquoi ce dénigrement aux États-Unis et même à l’international ? La raison est simple et toute trouvée par l’administration américaine, influencée par les lobbies pharmaceutiques, cotonniers, papetiers et pétrochimiques : le chanvre et la marijuana proviennent du même genre et de la même espèce de plante, ce qui a introduit beaucoup de confusion et de controverses sociales, politiques et morales. Pendant plusieurs décennies, le chanvre industriel sera associé (à tort) au chanvre à un produit stupéfiant. Il a alors peu à peu disparu de l’industrie, et la totalité des manufactures feront faillite.

En réalité, ce qui a impacté lourdement la culture du chanvre/marijuana, c’est une loi qui va la taxer, et curieusement sans directement criminaliser son usage ou sa vente. En effet, en 1937 (cette même année, le brevet du nylon sera déposé !), les États-Unis adoptent un texte important, le Marijuana Tax Act, qui instaure une loi sur la taxation de la production, du commerce et de l’usage de cette substance. En 1941, la marijuana (le terme utilisé officiellement à la place de cannabis) est retirée des pharmacopées américaine et canadienne. Les agriculteurs américains seront tellement taxés qu’ils vont ainsi progressivement décourager, à tel point que la plante (le chanvre), devenue non rentable et associée à la prétendue dangerosité du cannabis, sera effacée de la culture populaire. Cette loi américaine sur la taxation de la marijuana adoptée en 1937 n’a été abandonnée qu’en 1970.

Pourtant, étonnamment, au cours de la seconde guerre mondiale, les agriculteurs américains ont été encouragés par l’État fédéral à cultiver le chanvre pour les cordages, toiles et uniformes, pour remplacer le chanvre de Manille qui provenait de zones contrôlées par les Japonais. Le gouvernement américain a même produit le film Hemp for Victory – du chanvre pour la victoire – expliquant les usages du chanvre et la nécessité de cette culture pour gagner la guerre.

Après la seconde guerre mondiale, les matières synthétiques telles que le nylon inondent le marché, ces fibres permettant un tissage plus régulier, moins cher (et donc plus rentable) grâce aux machines industrielles. La demande en papier explose avec le développement des imprimantes, ce qui met pratiquement fin à l’utilisation du chanvre en papeterie, remplacé par le bois, une ressource plus facile à utiliser. On développe alors des procédés pour imprimer les billets de banque sur du coton et des feuilles d’ortie ! Les cultures céréalières (blé, avoine, seigle) se développent également, ce qui a pour conséquence de remplacer également le chanvre dans l’alimentation.

Le chanvre sera officiellement interdit presque partout dans le monde à produire à partir des années 1960 sous prétexte de santé publique et de la montée de l’industrie pétrolière. De nombreux pays interdisent alors la production, la commercialisation et l’usage du chanvre : la prohibition devient mondiale et les productions chutent considérablement. Le chanvre est retiré de la pharmacopée française et des pharmacies en 1953 et le cannabis est classé comme produit stupéfiant en 1961 par l’ONU. Pourtant, la France fera résistance et maintiendra son savoir-faire dans le domaine du chanvre en continuant à entretenir un savoir-faire et un minimum de production.

Au début des années 1960, une découverte importante va pourtant relancer le chanvre. En 1963, le célèbre chimiste israélien Raphael Mechoulam découvre le THC, la substance psychoactive du cannabis, identifie sa stéréochimie et surtout l’isole pour la première fois un an plus tard. Parallèlement, on découvre que le cannabis exerce son action en mimant l’action d’une molécule naturellement présente dans le cerveau du porc, l’anandamide. Cette molécule participe à la régulation de l’humeur, de la mémoire, de la douleur et de l’appétit. Tout ceci relance dès lors l’intérêt de la plante. Des recherches sont alors menées sur les vertus thérapeutiques du chanvre.

Au milieu des années 1960, avec les mouvements de contestation étudiante, partout dans le monde, la flower generation et la culture reggae réhabilitent également le cannabis comme herbe (haschich/hachich), reprenant ainsi le mot initialement introduit par les Arabes !

Malgré l’interdiction de produire du chanvre, des études sont également menées par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et la Fédération Nationale des Producteurs de Chanvre (FNPC) pendant les années 1960 pour produire un nouveau type de chanvre à partir d’un cahier des charges très strict. Ces travaux permettent de relancer la culture du chanvre agricole non seulement en France mais également dans d’autres pays européens à la seule condition d’utiliser une sélection de variétés à faible teneur en THC. À partir de 1971, la Communauté Économique Européenne encourage la culture du chanvre pour la production de fibres. C’est le début de la renaissance du chanvre.

Dans les années 1980, les recherches menées depuis deux décennies sur le chanvre thérapeutique aboutissent à la commercialisation des premiers médicaments à base de THC. Par exemple, un delta-9 THC synthétique, le Dronabinol (Marinol®), est proposé sous prescription médicale pour traiter les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie. On utilise également ce narcotique pour augmenter l’appétit et favoriser le gain de poids. À partir de la fin des années 1980, de nouvelles découvertes scientifiques sur les mécanismes d’actions des cannabinoïdes permettent de démontrer et de distinguer les bienfaits et les effets hallucinogènes du chanvre.

Quelques années plus tard, le système endocannabinoïde qui régule d’autres systèmes et fonction du corps est enfin reconnu et ceci entraîne le développement de nombreuses recherches sur le cannabis comme « nouvelle » alternative naturelle et complémentaire à la médecine traditionnelle. C’est le début du retour en grâce du cannabis médicinal. Le Canada sera le premier pays à autoriser l’utilisation de ce cannabis pour des pathologies ciblées. D’autres pays (Pays-Bas, Allemagne, Danemark) et certains États américains emboitent alors le pas. Toutes ces recherches aboutiront à la mise sur le marché de plusieurs médicaments à base de cannabinoïdes.

Les années 1990 accentuent le renouveau de la culture du chanvre dans le monde entier. En effet, un intérêt croissant pour la culture commerciale de fibres naturelles « oubliées » en Europe dont la France et en Amérique du Nord apparait alors principalement en raison de la prise en compte croissante de nouveaux concepts dans nos sociétés tels que le développement durable et la transition énergétique, et de la nécessité d’un nouveau mode de consommation, locale, plus responsable et écologique, et de qualité.

À partir de 1992, plusieurs pays dont la France, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Espagne et l’Allemagne ont adopté des lois autorisant la culture commerciale de chanvre à faible teneur en THC. Deux ans plus tard, le Canada a également proposé une réglementation pour la culture du chanvre, environ 60 ans après son interdiction. À l’époque, le chanvre est reconsidéré comme une culture de valeur aux caractéristiques agronomiques particulières, fournissant deux matières premières, les fibres et les graines, adaptées à de multiples applications potentielles et fortement utiles pour les besoins fondamentaux de l’Humanité. La maxime de l’Ancien Testament, « ce qui fut sera, ce qui s’est fait se refera, et il n’y a rien de nouveau sous le soleil », garde tout son sens !

Le chanvre (re)trouve alors rapidement des débouchés concrets dans notre quotidien, par exemple le béton de chanvre devient une alternative viable aux matériaux de construction traditionnels, notamment pour l’isolation, les panneaux (de fibres ou de particules) et les toits. L’utilisation de matériaux écologiques et durables à base de chanvre pour l’isolation et la construction de bâtiments était une approche pertinente à l’époque pour aborder la réduction des émissions de dioxyde de carbone. L’huile de chanvre recommence à être utilisée pour des usages alimentaires et cosmétiques et les soins personnels.

On commence également à s’intéresser à l’utilisation de chanvre comme matière première pour la production de composites pour la plasturgie et le secteur automobile. Très vite, les recherches sont prometteuses dans ces domaines. Par exemple, pour construire des voitures, les procédés de transformation permettent d’incorporer des fibres de chanvre dans des biocomposites plus légers que l’acier et beaucoup plus résistants. On retrouve ainsi du chanvre dans les modèles Clio, Zoe et Mégane de la marque Renault, et puis, plus récemment dans la série DS de Citroën.

Un autre domaine intéressant à l’époque était la fabrication de plastiques biodégradables et non toxiques à base de chanvre, appelés bioplastiques. En effet, le chanvre industriel est devenu une biomasse attrayante pour la production de bioplastiques, bien que ce matériau soit généralement résistant à l’hydrolyse enzymatique et à la fermentation directe par les micro-organismes, en raison des interactions complexes entre la cellulose, l’hémicellulose, la lignine et la pectine. C’est le début de nombreuses recherches dans ce domaine.

Le chanvre n’a cessé de suivre l’Humanité depuis des milliers d’années sur tous les continents pour couvrir nos besoins vitaux, pour se nourrir, s’habiller, se loger, se chauffer et se soigner. Pourtant au siècle dernier, cette plante millénaire aux vertus (déjà) reconnues par nos ancêtres a été méprisée, délaissée, voire ignorée en raison de ses origines et son appartenance à la famille des Cannabacées, et donc son lien intime avec sa cousine, la plante cannabis. Actuellement, le chanvre est en train de redevenir une matière première stratégique, tout en étant très encadrée. C’est le cas notamment en France, leader européen en termes de production, de transformation et de recherche, et leader mondial des semences. Notre savoir-faire dans ces domaines est également reconnu internationalement. Depuis les années 2000, la filière française connaît, en effet, une renaissance fulgurante en fédérant tous les acteurs de la chaîne de valeur de l’amont à l’aval, au travers d’une structure intégrée, compétitive et multimarchés, tout en s’inscrivant dans une dynamique de territoires et de transition écologique. Le chanvre a le vent en poupe !

On parle du chanvre comme la plante du nouveau paradigme, une réponse à de nombreux défis actuels, qu’ils soient économiques, alimentaires, sanitaires et environnementaux. Cette bioressource est, en effet, emblématique d’une agriculture locale, responsable, écologique, et adaptée aux enjeux climatiques, tout en permettant de subvenir à nos besoins. Comme matière première et éco-plante multi-usage, le chanvre est utilisé à bien des effets et dans plusieurs secteurs industriels tant ses nombreux produits ont des propriétés et des fonctions spécifiques. Les fibres présentent des propriétés supérieures à celles d’autres espèces végétales en termes de longueur, de résistance, de capacité d’absorption, de durabilité et de biodégradabilité. Et si le chanvre permettait de faire renaître le textile à la française (la French filature). Les initiatives existent dans les Hauts-de-France, en Bretagne et en Normandie et ne demandent qu’à se développer. S’ajoutent à ces propriétés des caractéristiques thermiques et acoustiques exceptionnelles, permettant également de fabriquer des matériaux de construction de haute qualité en vogue, répondant aux enjeux visant à réduire l’empreinte écologique. Quant aux graines de chanvre, elles sont riches en protéines, en acides gras essentiels et en fibres faisant du chanvre un super-ingrédient qui peut diminuer notre consommation en protéines animales. Il faut également compter avec les usages cosmétiques de l’huile et ses vertus nourrissantes, régénérantes et de bien-être qui étaient déjà connues par les civilisations antiques. En outre, l’excellente qualité de l’huile pour des utilisations non seulement cosmétologiques et alimentaires mais également de bien-être répond aux nouveaux besoins en matière de consommation et aux changements des habitudes des consommateurs.

La résurgence dans la production de chanvre qui ne cesse d’augmenter année par année, partout dans le monde, a été confortée, cette dernière décennie, par l’essor exponentiel des produits à base d’une autre « huile » de chanvre. Les sommités florales de la plante permettant en effet l’extraction du CBD, la grande « révélation » de ces dernières années et le nouveau produit « miracle ». Cette molécule de CBD et les graines dites de bio-chanvre semblent être les prochaines matières premières d’intérêts pour des marchés à forte valeur ajoutée tels que la neutraceutique (le chanvre a le statut de nouvel aliment), les cosméceutiques (le CBD a été récemment considéré comme un ingrédient cosmétique), et les domaines médicaux et thérapeutiques (en Europe, le CBD a été retiré de la liste des drogues dangereuses mais il n’est toujours pas considéré comme un médicament alors qu’il l’est en Norvège !). Il ne fait aucun doute que le potentiel santé du CBD, soutenu de plus en plus par des études scientifiques, est prometteur, et donc un potentiel économique également prometteur, intéressant les investisseurs. Cependant, la filière CBD est certes dynamique avec des marchés en croissance rapide mais elle est très concurrentielle à l’international. La France a pris du retard dans ce domaine et nos agriculteurs ont besoin d’aide et d’accompagnement pour se développer. Pendant ce temps, les produits CBD envahissent le marché européen. Or, la France ne peut pas s’opposer à l’importation de produits à base de CBD et de chanvre !

D’autres utilisations potentielles et applications innovantes ouvrent de nouveaux défis, par exemple comme la production de supercondensateurs, l’impression 3D, la phytoremédiation, le traitement des eaux usées, la production d’énergie, les biocarburants, les plastiques biosourcés pour l’aéronautique et le nautisme, et les biopesticides. Tout ceci a favorisé le retour du chanvre et du cannabis dans l’économie mondiale tant leurs secteurs commerciaux sont nombreux, variés et établis et leur potentiel encore inconnu dans d’autres domaines.